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  • Didier Meyerfeld

Loi immigration n° 2024-42

Dernière mise à jour : 17 mai

Le 26 janvier 2024 était promulguée par le Président de la République la Loi n° 2024-42 « pour contrôler l'immigration améliorer l'intégration » après des débats houleux au Parlement une crise politique et une quasi-crise institutionnelle qui aura vu le gouvernement faire voter des articles controversés dont il souhaitait l’annulation par le Conseil constitutionnel (ce qui se produisit).

Trois mois plus tard la loi est bien en vigueur de premières circulaires d’application ont été publiées et même si l’émotion et les passions ne sont pas retombées il est important pour Solidarité Migrants d’apporter son éclairage sur certains articles de la vingtième loi immigration en moins de 40 ans. Le Ministre de l’Intérieur avait dit son intention « d’être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils » mais le texte de loi comprend essentiellement une longue et nouvelle série de restrictions de droits et de barrages administratifs pour les étrangers et on peine à identifier les mesures « améliorant l’intégration » comme il est annoncé dans le nom même d’une loi qui n’est donc clairement pas équilibrée. Décryptage !


Loi immigration - Couverture

Encore plus de refus de titres de séjour et d’obligations de quitter le territoire français

La loi invoque à plusieurs reprises la « menace à l’ordre public » (Art 40 46) voire la « menace grave à l’ordre public » de la personne à laquelle le titre de séjour serait refusé. Il est évident que personne ne souhaite que soit menacé l’ordre public. Mais il faudrait absolument préciser ces notions qui restent très vagues et dans la réalité très subjectives. 


De simples erreurs dans des documents d’état civil provenant de pays où l’Administration est défaillante et souvent qualifiées de « fraude documentaire » sont assimilées à des menaces à l’ordre public par de nombreux Préfets dans la rédaction des OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) qu’ils délivrent aux personnes incriminées.


Or la France a un véritable problème avec les OQTF : elle est la championne d’Europe en nombre d’OQTF délivrées avec des conséquences terribles pour le quotidien des personnes visées et sans que les Tribunaux administratifs débordés par les recours (à déposer dans certains cas en 48h) ne parviennent à réguler le phénomène et à contribuer à mettre un terme à cette spirale inflationniste en faisant un tri entre les bons et les moins bons motifs. 


La nouvelle loi incite les Préfets à refuser toute régularisation ultérieure en cas d’OQTF même si des éléments nouveaux sont apportés (Art 14) : le soupçon de délits entraîne refus même sans jugement ni condamnation (Art 46). La délivrance d’une OQTF en cas de refus de la demande d’asile est désormais automatique (Art 64).


De plus la loi établit que toutes les OQTF sont désormais exécutoires 3 ans et non plus seulement 1 an (Art 42). On rappelle que « exécutoire » veut dire qu’une expulsion est légalement possible au titre de cette OQTF. Mais l’OQTF contrairement à ce que pensent souvent les personnes qui en ont été malheureusement destinataires ne disparait pas pour autant après ce délai auparavant d’un an et maintenant de trois ans surtout si elle est accompagnée d’une IRTF (Interdiction de Retour sur le Territoire Français). Elle reste dans les fichiers comme n’ayant pas été respectée (si la personne visée est restée en France) et peut facilement être réactivée par une nouvelle OQTF à la suite d’un contrôle d’identité sur la voie publique par la Police.


Une disposition en apparence anodine de limitation du renouvellement d’une carte de séjour annuelle à trois fois pour un même motif (Art 21) remplit d’inquiétude tous ceux qui accompagnent les étrangers dans leurs démarches administratives. C’est une mesure technique mais qui impose concrètement aux étrangers d’une part de trouver absolument un CDI dans les 3 ans d’autre part de parvenir à un niveau de français du niveau fin de collège dans le même délai. Ce ne sont que quelques mots au détour d’une courte phrase d’un article passant presque inaperçu mais c’est l’avenir légal en France de centaines de milliers de personnes qui se joue là.


Les conditions d’obtention d’une carte de résident de 10 ans et surtout de son renouvellement sont durcies avec des exigences très complexes concernant la « résidence habituelle en France » (Art 46).

Les niveaux de français requis pour obtenir des cartes de séjour ou de résident sont rehaussés (Art 20) : autant il n’est pas choquant qu’on demande à un étranger souhaitant s’installer en France de maîtriser la langue qui est par ailleurs un outil précieux d’intégration autant le fait de ne pas accompagner ces dispositions de moyens de formation supplémentaires et si possible accessibles financièrement à tous peut constituer paradoxalement un barrage de plus. A noter que l’accès à la naturalisation nécessite le niveau B2 qui correspond à celui du bac que bien des Français n’atteignent pas forcément…


Loi immigration - Schéma rétention et expulsion des migrants

Le cas des mineurs non accompagnés

Un fichier spécial est créé pour répertorier les mineurs non accompagnés (MNA) ayant fait l’objet de soupçons de délits ou de plaintes (Art 39). Ce nouveau fichier de police est particulièrement inquiétant car il ne se fonde pas sur des jugements et des condamnations. 


La justification officielle est de tenter de maîtriser le phénomène de bandes de mineurs étrangers seuls et refusant tout encadrement et auteurs de nombreux délits. Mais il va pouvoir concerner tous les MNA notamment ceux faisant l’objet d’accusations mensongères comme on en a vu bien des exemples et les empêcher de recevoir leur titre de séjour.


Les MNA devenus majeurs ont pour une part d’entre eux des difficultés à obtenir ou renouveler leur premier titre de séjour. Pour l’immense majorité d’entre eux il s’agit de problèmes liés à leurs documents d’état civil estimés faux par la Police aux Frontières (PAF) même lorsqu’il s’agit manifestement d’erreurs ou de défaillances des services locaux sans que les jeunes n’y soient pour quelque chose. 


Les Préfectures ont souvent tendance à suivre l’avis défavorable des PAF à refuser la délivrance du titre et à dans la foulée leur délivrer une OQTF alors même qu’après avoir été accompagnés pendant plusieurs années par les ASE (Service de l’Aide sociale à l’Enfance des Conseils départementaux) ils peuvent avoir un CDI être en couple et parfaitement intégrés. 


Un vrai gâchis que la nouvelle loi aggrave encore en incitant les ASE à cesser tout accompagnement et notamment l’hébergement et à rompre les contrats jeunes majeurs signés avec les jeunes (Art 44). Certains départements (mais pas la Charente Maritime) se sont déjà empressés d’obéir à cette disposition jetant les jeunes dans une précarité totale.


Une porte entr’ouverte pour certaines régularisations

La régularisation possible d’étrangers sans papiers mais travaillant pourtant et parfois depuis des années avec contrat et fiches de paye (et payant leurs impôts et leurs cotisations sociales) dans des métiers dits en tension (Art 27) dont les Français se détournent est une opportunité attendue par de nombreux étrangers. 


Mais le gouvernement n’a pas osé ou voulu aller jusqu’au bout de la logique : la mesure doit en principe prendre fin en décembre 2026 l’arrêté définissant par région ces métiers en tension n’est toujours pas amendé et reste incomplet car peu adapté aux réalités locales (par exemple la restauration n’y figure pas pour La Rochelle !) et surtout il s’agit d’une admission exceptionnelle au séjour à la seule main des Préfets. 


Le gouvernement a surtout jusqu’à maintenant cherché à minimiser l’impact de cette disposition en allant jusqu’à promettre que cela ne concernerait que quelques milliers de « cas ».

Loi immigration - Graphique vote des députés à l'Assemblée nationale

Objectif rétentions et expulsions

Les protections contre les expulsions de certaines catégories d’étrangers (présents sur le territoire depuis longtemps mariés avec une personne française parents d’enfants français étrangers malades etc…) sont restreintes ou disparaissent (Art 37 75) la double peine (être puni pour le délit qu’on a commis puis être expulsé) est généralisée toutes les durées de sanctions depuis les assignations à résidence jusqu’aux interdictions de retour en France sont allongées de nouveaux motifs de refus de titre de séjour sont prévus (Art 7).


L’idée du gouvernement est de montrer qu’il est plus sévère avec l’immigration illégale et avec les immigrés délinquants. Le nombre d’OQTF a triplé en quinze ans et on atteint presque désormais les 150000 par an. Bien entendu il est impossible d’expulser 150000 personnes par an : les personnes restent en France mais ont perdu tous leurs droits sombrent dans la précarité et la clandestinité. 


Au-delà de l’inhumanité de cette situation vis-à-vis de personnes dont l’immense majorité ne sont pas des délinquants et encore moins des terroristes on ne comprend pas en quoi ça peut améliorer la sécurité la santé ou l’emploi des Français eux-mêmes. A quoi et à qui sert exactement de « rendre la vie impossible aux personnes ayant reçu une OQTF » ? 


Il semble bien que ce soit juste un message politique non dénué de cynisme vis-à-vis d’une fraction de l’opinion publique française : cibler la population immigrée est malheureusement partout une façon pour les gouvernements confrontés à des difficultés de détourner l’attention.


D’autres articles de la Loi renforcent les placements en centre de rétention y compris pour des demandeurs d’asile ou y rendent plus compliquée l’intervention des Juges des Libertés (Art 41 51). Seul point de progrès l’enfermement des mineurs en Centre de rétention est enfin désormais banni (Art 40) mais cela fait suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France pour cette pratique. 


La loi prévoit que les procédures relatives aux recours des étrangers contre des mesures les visant sont raccourcies en terme de délai avec juge unique (Art 72) : si on ne peut que souhaiter que les délais devant les tribunaux administratifs ne soient plus comme aujourd’hui souvent d’un an ou plus on doute un peu de l’applicabilité de ces mesures si les moyens humains dans les tribunaux ne progressent pas et on restera vigilant sur le fait que plus rapide ne doit pas se traduire par expéditif.

Loi immigration - Principales mesures votées par les sénateurs et les députés
Les mesures principales

Au total on le voit bien les dispositions restrictives et répressives dominent quasiment totalement cette nouvelle loi. Sans toucher en rien aux raisons qui motivent des personnes y compris des mineurs seuls à quitter leur domicile leur entourage leur pays en affrontant des dangers extrêmes pour rejoindre l’Europe : les guerres les violences la désertification sous l’effet des changements climatiques les discriminations la mauvaise gouvernance les dictatures la corruption… Cette loi en plus de précariser ces personnes arrivées en France banalise l’idée que d’être entré illégalement sur le territoire justifie discriminations répressions enfermements face à ce qui est compris comme une menace. Cette nouvelle loi a surtout cela comme effet : déshumaniser un peu plus les personnes migrantes et donc renforcer tous les a priori les préjugés les hostilités la xénophobie et le racisme. C’est aussi un outil de plus au service demain d’un gouvernement qui pourrait être ouvertement raciste et xénophobe. D’ailleurs la prochaine loi est déjà prête. Elle est constituée par toutes les mesures censurées par le Conseil constitutionnel mais dans la plupart des cas pour de simples questions de forme et non sur le fond : la suppression des aides sociales le rétablissement du délit de séjour irrégulier et donc ensuite du délit de solidarité les remises en cause du droit du sol de l’hébergement d’urgence les barrières à la venue d’étudiants étrangers… Et l’AME (Aide médicale d’État) est déjà dans le viseur au mépris même des intérêts de la santé des Français eux-mêmes comme le rappellent inlassablement de nombreux médecins.



Solidarité Migrants La Rochelle affirme donc bien son hostilité à cette nouvelle loi et y voit une motivation de plus pour renforcer sa solidarité avec les étrangers exilés et parmi eux particulièrement les sans-papiers et se tient prêt à se mobiliser encore plus fort demain au nom des valeurs attachées à notre République.








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